[Histoire] Le Masque et le Miroir (An 35)
Lun 20 Juil - 21:26
Hurlevent, Dernier mois de l'an 35
"L'indifférence n'existe pas.
Que ce soit de voir deux humaines se disputer pour la couleur de leurs sous-vêtements ou une autre sauter du port pour s'écraser dans un râle d'agonie, les deux atteindront ma conscience de manière égale. Je ne saisis pas toutes les subtilités de cette ville."
L'Elfe se laissait bercer par l'écoulement de l'eau, le cliquetis de plaque qu'émettait, par intermittence, l'humain à moitié endormi non-loin, mêlé à quelques insultes tout aussi inspirées les unes que les autres, vociférées non-loin du quartier. Elle se tenait devant la fontaine, aussi stoïque et militaire qu'elle pouvait être. Son regard vacillait entre chaque mouvements, chaque passants, qu'elle détaillait pour éreinter sa mémoire, occuper son esprit déjà trop agité.
"Ce doit être le raisonnement le plus absurde que j'ai pu avoir. Les cauchemars ne peuvent être-"
« -Excusez-moi, Dame Elfe »
Un coup de feu intérieur retentit instantanément ; même après quelques centaines d'années, les cauchemars vont et viennent, s'effacent et resurgissent, c'est un cycle perpétuel. Un homme se tenait devant elle, et après quelques examens invasifs de son regard brillant, elle entamait son calcul habituel : "Poli, un respect de l'étiquette, des vêtements lisses, nobles, le regard fuyant mais un sourire affable. Contentons-nous du miroir, il peut-être drôle à bousculer."
«-Sauriez-vous où trouver un ingénieur, par tout les hasards ?»
«-Probablement là où vous entendrez des explosions.»
Elle se contenta - non sans ses banalités de narquoiserie et de souligner l'absurdité de poser une telle question à une Kaldoreï - de lui donner sa liste de noms bien fournie, dans un espoir vain que ça lui en allège la mémoire.
«-Je vous remercie, qu'Elle vous guide.»
Elle inclina la tête en retour, pour l'adaptation à l'interlocuteur, pour la simple politesse, le respect de la formalité. Mais elle avait beau faire tout les efforts d'Azeroth pour considérer son interlocuteur de la Cité comme un reflet égal, elle ne pouvait se séparer de son air désintéressé et naturellement hautain qui l'habitera bien vite. Comment ne pas se sentir détaché face à des individus qui ne sont qu'un grain de sable dans son sablier ? Elle s'étonnait toujours de trouver quelques humains à la discussion intéressante, malgré tout.
"Probablement pour cette raison que les humaines se disputent sur les sous-vêtements, c'est qu'elles n'ont rien à dire" -songeait-t'elle, dans un élan de perspicacité bien à elle.
Elle éprouvait néanmoins une certaine satisfaction de livrer ses informations, un défi insignifiant et à court terme auquel elle s'adonnait toutes les nuits. Elle y trouvait un but, un amusement, une occupation, un substitut de son ancienne vie d'Estafette. Adapter ses talents et ses objectifs délaissés à la ville avait quelque chose de passionnant.
Quelques instants passèrent, l'ancienne Estafette jouait longuement avec quelques tissus écarlates de sa manche effilochée, d'un sourire rêveur qu'elle cachait sous sa façade d'impassibilité : "Ce doit être après tout l'un des -"
« Dame. »
L'elfe remua une oreille au son d'une voix douce et froide, féminine, familière. Une jeune humaine à la chevelure de feu se tenait là, la regardant de deux émeraudes, au regard aussi mutins qu'elle, à la seule différence que les yeux de l'humaine n'attiraient pas les insectes en pleine nuit : "Le visage fermé, le regard plus dur qu'à l'accoutumée, son carnet de la chouette en main. Les nouvelles ne sont pas bonnes."
« J'ai vérifié, il est bel et bien mort.»
« Entendu. »
Répondit-elle de son masque de stoïcisme parfait.
"Mère m'a tout appris. Cet âne de marchand de la Baie est décidément prêt à tout. qu'Elune veille sur son âme, pauvre enfant. Il n'a rien demandé qu'un peu d'argent pour survivre. Ces concepts de pauvreté... Rien qu'un autre grain de sable envolé... J'aimerai pouvoir me permettre de m'en f- "
«Dame Alshaïn.»
Elle se voyait pour la énième fois interrompue et grommelait intérieurement, avant de reconnaître un mercenaire croisé récemment. Il arborait un sourire charmeur et goguenard, il maniait à perfection le jeu du miroir, le jeu de la séduction audacieuse. Elle s'en voyait presque flattée ou frustrée - qui sait- de voir quelqu'un jouer à son propre jeu, quelqu'un d'aussi malicieux qu'elle pour percer sa façade. Dans une pulsion désinvolte, elle se laissait prendre au jeu le temps de quelques minutes. Ou heures. Elle ne le savait plus, la ville a son propre espace temporel.
La joute verbale terminée, ce sont ses songes incessants qui reprennent.
"-Outre le fait que cet homme soit emprunt d'esprit, il n'est pas si loin d'être un enfant. Je devrais peut-être songer à arrêter ce jeu idiot, je ne fais que me rabaisser à leurs niveaux. Certains le valent plus que d'autres, sûrement."
Elle lâcha un soupir interminable en coupant de ses canines les quelques effilochures de sa manche, pour reprendre sa marche, dans l'espoir las de croiser ou de rencontrer adversaire à sa mesure. Une expédition, une mission, un gnome exploser en plein test d'une machine volante. Elle s'installera peut-être sur ses perchoirs habituels pour contempler le crépuscule pourpre, contempler la déchéance de son monde par la bêtise éternelle, jusqu'à l'aube, devenue lasse et désintéressée des absurdités d'une race trop indisciplinée, à son sens.
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